Pour une approche laïque, responsable, basée sur la santé et le respect des droits humains

En Belgique, c’est une loi plus que centenaire qui régit les dispositions en matière de drogues1. Elle incrimine l’importation, l’exportation, la fabrication, le transport, la détention, la vente et l’acquisition de toute une série de substances stupéfiantes et psychotropes. Si elle a subi quelques adaptations au cours des décennies, elle ne s’est jamais départie de son caractère prohibitionniste. 

Cependant, malgré un arsenal répressif renforcé, la consommation de drogues n’a pas diminué tandis que le trafic augmente, tout comme les problèmes sociaux, sanitaires et sécuritaires qui y sont liés.

Face à ce constat d’échec, le Centre d’Action Laïque plaide pour un changement radical de paradigme, conforme aux valeurs laïques de liberté, d’autonomie, de responsabilité individuelle et de justice sociale.

La prohibition aggrave les problèmes au lieu de les résoudre

L’approche punitive actuelle, basée sur une conception moralisatrice et arbitraire, conduit à la marginalisation des usagers, les expose à des pratiques à risque, les éloigne du système de soins et les maintient en contact avec les réseaux criminels. Elle se révèle donc totalement inadaptée aux réalités sociétales actuelles.

En effet, malgré l’interdit et les moyens déployés par les pouvoirs publics, les produits psychotropes abondent et leur consommation n’a de cesse d’augmenter. La prohibition a davantage aggravé les problèmes sociaux, sanitaires et sécuritaires qu’elle ne les a réglés. L’insécurité juridique règne. L’engrenage policier peut mener à la prison et à la constitution d’un casier judiciaire. À l’heure actuelle, environ 50% des personnes détenues sont incarcérées pour des infractions en matière de stupéfiants ou faits connexes. C’est considérable!

De plus, certains usagers de drogues constituent une population fragilisée au parcours de vie abîmé, parfois sans-abris, souvent précaires. Leur accès aux soins de santé déjà difficile en temps normal s’est encore compliqué durant la pandémie de Covid-19. En outre, depuis les évènements violents survenus à Anvers, le regain observé du recours à la rhétorique guerrière et à la culpabilisation des usagers de drogues dans les discours politique et médiatique est particulièrement inquiétant et fait craindre une régression dans la prise en charge des assuétudes.

Une approche laïque: santé publique, prévention, information et réduction des risques

Pour le Centre d’Action Laïque, il est urgent de changer de paradigme et d’évoluer vers un modèle de législation visant une régulation par l’État de la production, du commerce et de la consommation de tous les produits psychotropes, selon une approche de santé publique axée sur la prévention et la réduction des risques.

Cela signifie:

  • sortir d’une logique punitive;
  • traiter les usagers comme des citoyens à part entière;
  • mettre en place une politique cohérente, centrée sur la prévention, l’éducation et la réduction des risques.

Dès la fin des années 1990, le CAL a réuni experts de terrain, juristes, sociologues et professionnels de la santé pour construire une alternative crédible à la prohibition. Après plusieurs années de travaux, le groupe de travail « Drogues » du CAL a publié en 2015 une Proposition de loi réglementant la vente des substances stupéfiantes et psychotropes dans le cadre d’une expérience de santé publique.

En bref, les propositions du CAL:

  • Une modification de la loi de 1921 en la maintenant, mais en organisant une série de dérogations qui vont permettre d’améliorer la santé des usagers.
  • Une réglementation rigoureuse sous contrôle de l’État tant de la production que de la distribution des différents produits psychotropes. 
  • La dépénalisation de la détention pour consommation personnelle.
  • La mise en place d’une commission de contrôle en vue d’analyser les données statistiques récoltées. 
  • Des dispositions distinctes sont prévues pour chaque catégorie de produits :
    • Cannabis, regroupé avec l’alcool et le tabac :
      • Vente libre en magasin spécialisé ou comptoir spécifique (publicité interdite, conditionnement neutre, notice…) 
      • Achat strictement pour consommation personnelle (interdiction aux mineurs de –16 ans). 
      • Autorisation de la culture de plants de cannabis pour usage personnel.
    • Substances stimulantes et hallucinogènes :
      • Délivrance en comptoirs spécialisés gérés par des ASBL compétentes en matière de réduction des risques. 
      • Réglementation de la production basée sur les conditions requises pour les médicaments.  
      • Bilan de santé demandé. 
      • Interdiction aux mineurs (18 ans).
    • Opiacés et cocaïne
      • Délivrance par un médecin en dispensaire disposant d’une salle de consommation attenante sous contrôle de l’État. 
      • Bilan de santé exigé.
      • Interdiction aux mineurs (18 ans).

Les avantages d’une telle réglementation sont nombreux:

  • Amélioration de la santé des usagers grâce au contrôle des produits.
  • Libération des moyens policiers et judiciaires pour d’autres tâches.
  • Diminution du nombre de détenus en prison. 
  • Nouvelles ressources financières grâce aux taxes et accises (cannabis) idéalement dévolues au secteur des soins.
  • Augmentation des moyens pour la prévention auprès des jeunes et la réduction des risques. 
  • Éradication d’une partie du marché noir.
  • Mise en œuvre d’un réseau de commerce équitable avec les pays producteurs.

La réduction des risques, pilier d’une politique de santé publique

Le Centre d’Action Laïque est engagé dans la promotion active de la réduction des risques, en partenariat avec des acteurs comme la Ligue des Droits de l’Homme, la Liaison antiprohibitionniste, Modus Vivendi et les FEDITO bruxelloise et wallonne, au sein d’une Plateforme de réduction des risques.

La réduction des risques est une stratégie de santé publique visant à prévenir les dommages liés à tous les usages de drogues (expérimentaux, récréatifs, ponctuels, abusifs, ou inscrits dans une dépendance) pour des personnes qui ne peuvent ou ne veulent pas s’abstenir d’en consommer. Cette approche s’inscrit dans une démarche de promotion de la santé physique, mentale et sociale, mais aussi de la dignité et de la citoyenneté des usagers.

Le CAL a ainsi:

Recommandations du CAL pour une réforme progressiste et cohérente

Pour construire une politique des drogues moderne, éthique et efficace, le Centre d’Action Laïque recommande:

  • La décriminalisation des comportements liés à l’usage des drogues.
  • La régulation par l’État de la production et du commerce, en particulier du cannabis.
  • L’ouverture de salles de consommation à moindre risque, intégrées dans un réseau de soins.
  • Des campagnes de prévention fondées sur l’information et non la culpabilisation.
  • Un encadrement spécifique des mineurs, notamment en matière d’alcool, de tabac et de cannabis.
  • Le soutien aux professionnels de terrain, en santé mentale, sociale et communautaire.

Pour le Centre d’Action Laïque, une politique fondée sur la régulation, la prévention et la réduction des risques est la seule voie compatible avec un État démocratique et respectueux des droits humains.

  1. Loi du 24 février 1921 concernant le trafic des substances vénéneuses, soporifiques, stupéfiantes, psychotropes, désinfectantes ou antiseptiques et des substances pouvant servir à la fabrication illicite de substances stupéfiantes et psychotropes ↩︎