La neutralité des agents transpose les principes d’impartialité des institutions, et donc de laïcité, au niveau des agents. L’État, par le biais de ses agents, doit offrir un service impartial puisqu’il est l’autorité de tous les citoyens, sans distinction de croyances ou d’opinions. Une fonction publique neutre garantit l’égalité de traitement.
Bien sûr, les agents de l’État, en tant que personnes, bénéficient de la liberté de conscience, de religion et de conviction qui est reconnue à chaque citoyen; leur devoir de neutralité ne s’impose pas à eux dans le cadre de leur vie strictement privée par exemple. Par contre, en service et au service de l’État, ils sont tenus de se montrer neutres à la fois dans leurs rapports avec les administrés et entre agents.
La liberté de conviction dans un cadre public commun
Si chaque personne a le droit de s’exprimer et de manifester ses convictions, y compris par le biais de son apparence, ce droit n’est pas inconditionnel. En effet, dans un État de droit, aucune liberté n’est absolue puisque ces libertés risquent d’entrer en concurrence d’une manière ou d’une autre (par exemple, la liberté d’expression ne permet pas pour autant d’inciter à la haine ou à la violence).
Les limitations aux droits fondamentaux ne peuvent pas pour autant être arbitraires, sinon il ne pourrait pas être question d’État de droit. La limitation du droit d’arborer un signe convictionnel, qu’il soit religieux, philosophique, politique ou partisan, en tant qu’expression de la liberté de conscience, de religion ou de conviction doit répondre à plusieurs conditions pour ne pas être contraire aux droits fondamentaux.
Pour cela, une mise en balance doit être faite entre les différents intérêts en présence, et tout particulièrement entre le droit pour une personne de manifester sa conviction par le port de signes convictionnels sur son lieu de travail (une liberté individuelle) et le principe de laïcité, c’est-à-dire un objectif collectif, d’intérêt général, visant à concilier les intérêts de divers groupes et assurer le respect de convictions de chacun ainsi que l’égalité entre les administrés.
Neutralité d’apparence
Construire une autorité publique commune, neutre, en dehors du champ d’influence des religions ou des convictions est un objectif légitime, qui garantit lui-même au mieux les droits fondamentaux de chaque personne, qu’elle soit devant ou derrière un guichet d’administration. Interdire le port de signes convictionnels pour cette raison n’est dès lors pas discriminatoire: comme l’a précisé la Cour constitutionnelle en 2020 dans l’affaire de la Haute Ecole Francisco Ferrer, cette mesure permet d’aménager un système où les principes d’égalité et de non-discrimination sont respectés car chaque personne se trouvant dans la même situation (c’est-à-dire souhaitant porter un signe qui manifeste ses convictions personnelles, quelles qu’elles soient, au sein d’une autorité publique) est traitée de la même manière.
L’incertitude règne au détriment de l’État de droit
Pourtant, cette question de l’interdiction du port de signes convictionnels au sein des services publics reste controversée, voire taboue. Elle fait l’objet de débats qui agitent l’opinion publique et la classe politique à l’occasion de différents faits d’actualité, comme le cas d’une nomination, d’une décision d’administration ou d’un verdict en justice.
À défaut d’un cadre clair et commun qui encadre cette question, le débat se règle au cas par cas, commune par commune, institution par institution, au gré des majorités politiques ou des jurisprudences successives allant tantôt dans un sens, tantôt dans un autre.
Cette situation est contraire au principe de l’État de droit lui-même car il ressort de la responsabilité du législateur de fixer la règle applicable. Sans loi accessible et prévisible, un climat délétère continuera à entourer ce dossier, donnant l’impression que les questions identitaires prennent le pas sur toutes les autres, ce qui serait particulièrement dommageable à un moment où les inégalités augmentent et où les droits fondamentaux sont mis sous tension.