Pour une régulation au service de l’humain

Le XXIe siècle a vu naître un nouvel espace d’existence: l’espace numérique. Mais cet espace, loin d’être neutre, soulève des défis majeurs pour la démocratie, les droits fondamentaux et les valeurs de liberté, d’égalité et de solidarité. Discriminations algorithmiques, surveillance de masse, captation marchande des données, désinformation, manipulation électorale: autant de logiques qui fragilisent le débat public, creusent les inégalités et menacent l’autonomie des individus.

L’essor de l’intelligence artificielle renforce encore ces dérives, en automatisant des décisions sensibles, en orientant nos opinions de manière opaque, et en brouillant les frontières entre réalité et fiction.

Face à ces enjeux, le Centre d’Action Laïque défend un numérique au service de l’humain: un espace structuré par les droits fondamentaux, la régulation démocratique et la justice sociale. Il plaide pour un accès universel au numérique, une protection stricte des libertés individuelles, la lutte contre les discriminations technologiques et la préservation du libre-examen.

Qu’est-ce que les droits numériques?

Les droits numériques désignent l’ensemble des protections juridiques qui encadrent nos usages d’Internet et des technologies numériques. Ils recouvrent:

  • Le droit à la vie privée et à la protection des données personnelles
  • Le droit à la liberté d’expression en ligne (dans les limites fixées par le droit belge1)
  • Le droit d’accès universel à Internet
  • Le droit à l’anonymat et le droit à l’oubli
  • La lutte contre les discriminations numériques (en raison de l’âge, du genre, d’un handicap, de l’origine ou de la situation économique des personnes)
  • La protection des groupes vulnérables en ligne (les mineurs d’âge, par exemple)

Ces droits prolongent nos libertés fondamentales dans le monde numérique. Ils sont essentiels pour garantir que les technologies restent au service de la dignité humaine, et non l’inverse. La maîtrise de ces droits conditionne également la participation pleine et libre à la société d’aujourd’hui. Sans eux, c’est la démocratie elle-même qui est mise en danger.

Toutefois, ils sont souvent fragilisés face aux intérêts économiques et logiques de concurrence des plateformes en ligne.

Le Centre d’Action Laïque estime qu’ils doivent être protégés et garantis avec autant de rigueur et de détermination que les autres droits humains fondamentaux

L’intelligence artificielle: entre promesses et périls

À ces enjeux, s’ajoutent ceux liés à l’intelligence artificielle (IA) dont le développement croissant et rapide transforme profondément nos sociétés: reconnaissance faciale, justice prédictive, diagnostic de maladies, tri de candidatures, génération de contenus… L’IA s’infiltre partout dans nos vies, parfois de manière insidieuse.

Mais derrière l’efficacité apparente de l’IA, se posent des questions majeures:

  • Qui conçoit les algorithmes et selon quelles valeurs?
  • Comment éviter les biais discriminatoires?
  • Quelles garanties pour les libertés et droits individuels?

Pour le Centre d’action Laïque, la préoccupation majeure est celle du respect des droits fondamentaux. Mais une autre question fondamentale se pose également: celle de la préservation du libre arbitre et de l’esprit critique.

Si l’intelligence artificielle dicte ce que nous lisons, regardons, pensons ou croyons, alors elle devient un pouvoir idéologique au potentiel autoritaire. Les systèmes d’IA utilisés sans cadre éthique, peuvent orienter nos comportements sans que nous en ayons conscience, réduire la diversité des points de vue, amplifier des récits dominants, ou brouiller les repères entre le réel et la fiction, comme le montrent les deepfakes, qui manipulent images, sons ou vidéos pour produire de fausses informations et parfois, influencer l’opinion publique.

Lorsqu’elle échappe à toute supervision démocratique, le recours à l’IA menace la capacité des citoyennes et citoyens à exercer leur esprit critique. Or, sans esprit critique, il n’y a ni émancipation individuelle, ni véritable démocratie.

Pourquoi ces enjeux concernent le Centre d’Action Laïque?

La laïcité défend une société où chaque personne est libre, égale en droits et actrice de ses choix. Dans ce contexte, les droits numériques et l’usage de l’intelligence artificielle soulèvent de nombreux enjeux éthiques et démocratiques:

  • Discriminations algorithmiques: l’IA peut reproduire, voire amplifier, des biais sexistes, racistes ou sociaux.
  • Atteintes aux droits et libertés: la surveillance numérique de masse menace le droit à la vie privée et peut porter atteinte à la liberté d’expression par des mécanismes de censures et d’auto-censures.
  • Inégalités d’accès: l’exclusion numérique touche des personnes âgées, précarisée, en situation de handicap, d’analphabétisation, etc. limitant leur accès à la vie sociale et à l’information en ligne ainsi que leur recours aux droits. 
  • Opacité des décisions automatisées: quand une machine décide, il faut garantir transparence, responsabilité et recours pour les citoyennes et citoyens concernés.
  •  Fragilisation du libre examen: la personnalisation algorithmique, les bulles informationnelles et la manipulation invisible des contenus affaiblissent l’autonomie de pensée.
  • Atteintes à l’esprit critique: en brouillant les repères entre réalité et fiction, en favorisant la viralité de fausses informations ou en imposant des récits dominants, certaines technologies minent la capacité des individus à analyser, comparer et questionner. 
  • Influence sur les scrutins et truquage des élections.

Les revendications du Centre d’Action Laïque

Pour garantir une société numérique juste, démocratique et respectueuse des droits fondamentaux, le Centre d’Action Laïque appelle prioritairement à:

  • Renforcer la protection des droits numériques.
  • Mettre en œuvre de manière ambitieuse l’AI Act européen.
  • Créer un comité consultatif indépendant en éthique des données et de l’intelligence artificielle, chargé de formuler des avis, d’alerter sur les dérives, et de sensibiliser les pouvoirs publics et la société civile.
  • Former les jeunes dès l’école aux droits numériques, à la protection des données personnelles et à l’usage critique de l’IA, pour en faire des citoyens et citoyennes libres et responsables à l’ère numérique.
  • Lutter activement contre la désinformation et les bulles algorithmiques, en garantissant la transparence des plateformes et en promouvant le libre examen.
  • Lutter contre l’exclusion numérique, en assurant un accès équitable aux compétences et outils numériques, aux services d’accompagnement du numérique et à une connexion de qualité pour toutes et tous.
  1. Voir notamment « La liberté d’expression a ses limites! » – https://www.police.be/5337/actualites/la-liberte-dexpression-a-ses-limites-0 ↩︎