Lutte contre la pauvreté: un combat laïque pour la dignité
En Belgique, plus de 2,1 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté ou sont menacées d’exclusion sociale, soit 18,2% de la population1. Une part importante de la population s’appauvrit inexorablement, emportée dans un cercle vicieux combinant la hausse des inégalités de revenus et la diminution de l’accès à des ressources de base: logement, emploi, soins, éducation, technologies…
Face à cette réalité alarmante, le Centre d’Action Laïque appelle à faire de la lutte contre la pauvreté et la précarité une priorité politique, sociale et éthique. C’est notamment à travers sa campagne d’éducation permanente 2024 Solde insuffisant, le choix de qui?, que le CAL a appelé à un sursaut afin de garantir un niveau de vie digne à toutes et tous, condition essentielle à l’émancipation et à l’exercice effectif des droits fondamentaux.
Renforcer la cohésion sociale pour (re)faire société
La pauvreté est un phénomène structurel et systémique, qui ne disparaîtra pas sans une transformation en profondeur des logiques sociales. Dans ce contexte, le renforcement de la cohésion sociale constitue un levier essentiel pour permettre l’exercice effectif des droits fondamentaux. Il s’agit de mobiliser à la fois les dynamiques individuelles et les initiatives collectives afin d’assurer à chacune et chacun une existence digne.
Permettre à toutes et à tous de bénéficier d’un bien-être économique, social et culturel au sein d’une société solidaire est une condition indispensable à la réalisation des droits humains. Pour le Centre d’Action Laïque, la cohésion sociale n’est pas une finalité abstraite: c’est un processus actif, qui rassemble l’ensemble des moyens mis en œuvre pour garantir l’accès aux droits et le bien-être collectif, en impliquant toutes les parties prenantes.
Cela passe notamment par:
- la défense des services publics, qui incarnent une solidarité concrète et universelle
- la promotion de la mixité sociale, culturelle, économique et de genre, à travers des espaces partagés réellement accessibles à toutes et tous (écoles, maisons de jeunes, centres sportifs…)
- le soutien aux initiatives locales de cohésion sociale, qu’il s’agisse d’associations, de collectifs citoyens ou de projets de quartier
Individualisation des droits sociaux: pilier central de la lutte contre la pauvreté
Un pilier central de la lutte contre la pauvreté réside dans l’individualisation des droits sociaux. Aujourd’hui, le statut de cohabitant constitue une barrière majeure à l’autonomie2. En particulier pour les femmes, qui en sont les premières victimes, car privées d’indépendance financière3.
Le CAL milite pour la suppression de ce statut, afin que chacun soit reconnu comme titulaire de droits à part entière, indépendamment de sa situation familiale ou de leur mode de vie.
Lutter contre le non-recours aux droits
Trop de personnes renoncent à faire valoir leurs droits, par manque d’information, par découragement ou par méfiance envers les institutions. Le non-recours touche des populations déjà fragilisées et renforce les inégalités existantes. Le contrat social s’effrite quand les droits ne sont plus effectifs. Il faut inverser cette dynamique pour restaurer la confiance dans les institutions sociales, notamment par:
- l’automatisation de certains droits (ex.: tarif social énergie)
- la simplification des démarches administratives
- l’amélioration de l’accessibilité numérique et l’accompagnement dans les démarches
Droit au logement: passer des principes aux actes
L’article 23 de la Constitution belge reconnaît à chaque personne le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. Ce droit inclut l’accès à un logement de qualité. Pourtant, les chiffres sont accablants: à Bruxelles en 2024, plus de 9.777 personnes sont sans-abri ou mal-logées, ce qui représente une hausse de 25% par rapport à 2022.
Le mal-logement n’est pas seulement un problème social: c’est également une question de santé publique. Le lien entre la précarité résidentielle et la santé est largement établi4: avoir froid, vivre dans des conditions humides, dormir dans le bruit ou la chaleur ont inévitablement des conséquences sur la santé.
Un logement stable est le socle de toute insertion sociale et de l’exercice des autres droits fondamentaux. Ainsi, avoir accès à un logement durable et salubre pour toutes et tous est la première étape pour lutter contre la pauvreté vers une resocialisation. Il faut pouvoir renforcer ce droit au logement, notamment par:
- L’augmentation du parc de logements sociaux.
- La réaffectation des logements vides ou inoccupés;
- L’encadrement des loyers pour lutter contre l’augmentation et la spéculation immobilière.
- Le renforcement des politiques locales d’accompagnement au logement et les programmes d’accueil.
Soutenir les CPAS et revaloriser les travailleurs sociaux
Les travailleurs sociaux sont au cœur du lien entre institutions et populations vulnérables. Pourtant, leurs conditions de travail se dégradent.
Une enquête de 2023 menée dans 145 CPAS révèle5 une surcharge de travail chronique, un manque de moyens humains et financiers, une dénaturation des missions vers plus de bureaucratie, des délais de traitement allongés avec un accompagnement moins efficace au détriment des bénéficiaires, un environnement de travail à risque aussi de la part des usagers.
La qualité de l’aide sociale dépend directement des moyens accordés à celles et ceux qui l’assurent au quotidien. Le Centre d’Action Laïque appelle à:
- renforcer des outils d’intégration sociale en maintenant à cet effet, l’autonomie des CPAS
- revaloriser les conditions de travail du personnel social
- alléger les procédures au profit d’un accompagnement humain et efficace
- redonner du sens au métier d’assistant social, en assurant leur présence sur le terrain
Une société solidaire et émancipatrice
Lorsque les droits vitaux – se loger, se nourrir, se soigner, accéder à l’éducation ou à un revenu décent – ne sont plus garantis, la tentation de se tourner vers des discours extrémistes, autoritaires ou communautaristes grandit. Car la pauvreté ne prive pas seulement les individus de ressources matérielles: elle les exclut de la participation sociale, politique et culturelle, et mine ainsi les fondements mêmes de la démocratie.
Dans cette perspective, la solidarité et l’émancipation sont indissociables de la démocratie. Le droit à un niveau de vie digne constitue le socle de l’autonomie individuelle. Or, cette émancipation ne peut se réaliser sans justice sociale, qui est la clé de voûte d’un projet de société réellement démocratique.
Face à une précarité qui s’aggrave, le Centre d’Action Laïque appelle à une action publique ambitieuse, fondée sur des principes de justice, de solidarité et d’universalité. Il est impératif de renforcer la sécurité sociale, de redonner aux services publics – en particulier de proximité – les moyens de remplir pleinement leurs mission, et de promouvoir une aide sociale humaine, non coercitive et accessible à toutes et tous.
- Chiffres 2024, Statbel – https://statbel.fgov.be/fr/themes/menages/pauvrete-et-conditions-de-vie/risque-de-pauvrete-ou-dexclusion-sociale ↩︎
- Limitation du revenu d’intégration sociale (RIS) pour les cohabitants!, 18 juillet 2025 ↩︎
- Elles sont surreprésentées dans ce statut lorsqu’elles touchent des allocations sociales, elles assument une grande part des tâches domestiques et des soins familiaux non rémunérés et les écarts de salaires poussent à privilégier les revenus masculins dans les arbitrages familiaux. ↩︎
- Voir notamment l’étude de Solidaris, « Thermomètre du logement », octobre 2023 – https://www.institut-solidaris.be/wp-content/uploads/2023/10/Rapport-Complet-Thermo-logement-min.pdf ↩︎
- Les CPAS entre pressions et dépression. Résultats d’une enquête auprès de 145 CPAS bruxellois et wallons, Carlo Caldarini et Ricardo Cherenti, Observatoire de l’action sociale locale, CPAS de Schaerbeek, CERIS (UMons), 2023 – https://www.cpas-schaerbeek.brussels/publications/ ↩︎